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L’œuvre du sculpteur Rimantas Šulskis

Préparé d'après « Rimanto Antano Šulskio mokslinį katalogą » (Catalogue scientifique de Rimantas Antanas Šulskis) de Donvina Morėnaitė. Kaunas, 2002.

Rimantas Antanas Šulskis (1943-1995) est l'un des sculpteurs lituaniens contemporains les plus originaux et les plus intéressants, qui se distingue par un style et une expression très personnels dans sa réflexion artistique. Il a découvert et perfectionné une technique unique de ciselure du cuivre qui est originale tant dans l'art lituanien que mondial. L'artiste a aussi fait du graphisme, mais tant ses sculptures que ses monotypes et ses dessins ne sont toujours pas largement connus et appréciés. Influencée par les transformations des années 60 et 70 dans l'art lituanien, l'œuvre de cet artiste n'est presque pas étudiée et, d'après le sculpteur Vladas Kančiauskas, « elle est restée jusqu'à présent inconsidérée, comprise de manière provinciale ». [1]

A l'époque soviétique, l'artiste et son œuvre ont été ignorés par la critique officielle. Il avait rarement la possibilité d'exposer ses œuvres et il n'avait pas de conditions de travail élémentaires : il travaillait dans un sous-sol humide non chauffé. Son œuvre était présentée de manière épisodique dans la presse : il n'existe que quelques courts articles de cette période sur les expositions, où le nom de R. A. Šulskis est mentionné. L'artiste a été présenté « Comme un jeune sculpteur prometteur » sur la couverture du magazine « Nemunas » (Niémen) en 1980, et c'est tout. Cela a pu être influencé par le caractère très fermé de l'artiste, sa mauvaise grâce à parler de lui et de son œuvre, de même que ses convictions politiques et la nature résistante de son œuvre. R. A. Šulskis a peu été en contact avec l'Union des artistes, il ne cherchait pas à convaincre et flatter, et il évitait le tumulte de la vie de bohème : il voulait travailler au calme et créer le monde de ses visions.

On a plus largement commencé à parler de l'artiste et de son œuvre après la première exposition personnelle du sculpteur organisée en été 1990 à la Galerie de peinture de Kaunas (Violeta Jasevičiūtė a écrit l'article de présentation de l'auteur pour le catalogue). Un des premiers articles sur cet artiste talentueux et unique a été publié par le critique d'art Arūnas Vyžintas : une présentation de l'œuvre de R. A. Šulskis et une critique de l'exposition personnelle. Après cela, il y a plus de publications, une des plus significatives étant une discussion professionnelle sur l'exposition personnelle elle-même et une analyse de l'œuvre de R. A. Šulskis par Saulius Kuizinas. Bien plus tard, l'artiste a été inséré dans des albums d'art importants : « Artistes de Kaunas » en 1996, « 100 artistes lituaniens contemporains » en 2000, où il y a aussi eu des reproductions de qualité de ses œuvres et des articles sur son travail. L'œuvre de l'artiste Rimantas Antanas Šulskis (1943-1995) se distingue dans le contexte de l'art lituanien contemporain par une originalité, le côté inhabituel de la technique, une force plastique stupéfiante et l'éloquence. Dans ses travaux s'entremêlent d'anciens archétypes païens et des symboles bibliques chrétiens franchissant les réflexions philosophiques de l'être. Certains experts de l'art affirment que l'œuvre de R. A. Šulskis est un cas unique dans l'art européen, voire peut-être même mondial [2]. Toutefois, comme beaucoup de talents, R. A. Šulskis et son art ont été en Lituanie soviétique longtemps inacceptables, inconsidérés, ignorés de la critique officielle. L'artiste a occupé une position silencieuse de résistance orientée contre un système soviétique qui brimait la liberté de création, et il a travaillé obstinément malgré la pression idéologique ; sans économiser ses forces et sa santé il a créé le monde de ses visions en cuivre, un monde qui parle de valeurs éternelles. L'artiste a sacrifié sa vie entière à son œuvre. R. A. Šulskis ne faisait pas uniquement de la sculpture, mais aussi du graphisme. Son héritage artistique : hauts-reliefs en cuivre, sculptures arrondies, monotypes, dessins. La plupart sont des créations possédant un langage artistique très original, personnel et professionnel.

Le talent du sculpteur s'est formé sur les nombreuses influences et transformations qui avaient lieu dans l'art lituanien dans les années 60 et 70. A l'époque, l'art était « une sphère culturelle sérieuse et respectable qui remplissait des fonctions quasi-sacrées » [3], et ses processus et l'expression artistique étaient réglementés, limités et régulés « d'en haut ».

L'œuvre de R. A. Šulskis se distingue dans le contexte général de l'art lituanien par une originalité de la réflexion artistique très personnalisée et spécifique. Perfectionnant son langage artistique, R. A. Šulskis est devenu à force un individualiste entier, et ses recherches de vécus intérieurs, de symboles personnels et de visions se sont révélés dans ses travaux. Sculptant un même goût stylistique des formes primitives, l'artiste a créé un monde uniquement subordonné à lui-même et rempli de symboles universels.

On peut répartir l'œuvre de R. A. Šulskis en plusieurs périodes distinctes qui se caractérisent par des moyens d'expression artistique, une thématique et un style différents.

1. La période précoce. La première moitié des années 70.

Les sculptures décoratives des intérieurs et des parcs lituaniens des années 60 et 70 ont influé l'artiste qui a repris les particularités de l'art de cette époque : utilisation des allégories, d'une synthétisation lyrique et de thèmes traditionnels (maternité, enfance, jeunesse, etc.), propension à des dispositions romantico-poétiques. Les matières appréciées pour la sculpture : argile, bois, granite, cuivre.

L'artiste a été influencé par l'œuvre des professeurs Juozas Kėdainis et Bronius Vyšniauskas ainsi que les cours d'anatomie et de dessin de Vladas Drėma. A l'Institut, R. A. Šulskis a activement étudié l'anatomie plastique. Le sculpteur a fait des portraits réalistes d'amis et de proches en plâtre ainsi que des compositions en bois et en granite.

Lors de ses études à l'Institut des beaux-arts, R. A. Šulskis a essayé pour la première fois la technique du martelage du cuivre (professeur Juozas Kėdainis). Bien qu'au début il ne réussissait pas très bien à marteler le cuivre, cette matière est devenue à la longue la préférée du sculpteur.

Pendant cette période, les créations de R. A. Šulskis se caractérisent par une propension au sentimentalisme, à l'émotion et à l'ornementation, une légèreté des thèmes, une naïveté, une richesse extérieure. Des représentations de l'enfant, la femme ou la famille, traditionnelles dans la sculpture lituanienne de la fin des années 60, sont fréquentes : « La maisonnée » (1972), « La femme » (1972), « Antanas » (1973), « Enfants I-II » (1975), « Destinée de femme » I-III (1975-1976), etc. Il y a dans ces œuvres une relation personnelle évidente avec l'objet, une expression fondée sur les sentiments, il y a parfois une légère ironie et des éléments de la caricature.

L'expressionnisme allemand a influencé le sculpteur (tous ceux qui connaissent l'artiste remarquent la nature allemande de R. A. Šulskis : travailleur, méticuleux, « germanique »), on peut voir une similitude avec l'œuvre d'Ernst Barlach. Il s'est intéressé aux travaux des sculpteurs Ivan Meštrović, Matas Menčinskas et Vytautas Košuba.

2. La période des recherches. La seconde moitié des années 70.

Pavadinimas

Le sculpteur a créé des reliefs ornementaux en cuivre pour les intérieurs, des sculptures arrondies en granite et des sculptures pour les espaces urbains. Dans une interview, R. A. Šulskis a dit : « la vraie place d'une sculpture se trouve dans les édifices à l'architecture moderne et sur les places. Là se révèlent au mieux l'unité de leur forme plastique et de l'idée » [4]. Il était prévu d'installer dans la vieille ville de Kaunas, près de l'Auberge royale, un square avec des œuvres de R. A. Šulskis (« Ruisseau » (1975); le sculpteur a reçu une commande pour faire la frise ornementale du musée zoologique T. Ivanauskas (« Faune » (1978-1983)), mais aucun de ces projets n'a été mené à son terme pour diverses raisons connues ou non.

Le cuivre est devenu la matière principale et préférée du travail créatif de R. A. Šulskis. La situation matérielle a aussi conditionnée cette passion : la feuille de cuivre était à l'époque une des matières les moins chères acceptables pour un sculpteur.

Les reliefs en cuivre de R. A. Šulskis se caractérisent par une relation libre avec les objets représentés, un langage avec des allégories et des associations. La figure de l'homme est fractionnée en parts, reliée à d'étranges éléments inventés assez surréalistes : « Le temps » (1976), « Le rêve » I- II (1975), « L'oreille » (1976).

R. A. Šulskis disait : « La sculpture m'attire par la silhouette, la ligne par laquelle elle se forme visuellement et définit l'espace. Je ne crains pas la déformation, je contreviens aux proportions académiques et canonisées si cela est nécessaire à l'interprétation du thème que j'ai choisi, à mes idées artistiques » [5]. Des représentations fantastiques et réelles s'entremêlent sur la surface du cuivre.

Le sculpteur a perfectionné le travail du cuivre jusqu'à la virtuosité. On peut dire qu'en bombant au maximum le cuivre il a découvert une technique unique que, comme l'affirment beaucoup qui ont vu les hauts-reliefs de R. A. Šulskis, probablement personne n'a utilisé pour créer non seulement en Lituanie mais aussi ailleurs.

Le professeur J. Kėdainis a dit au début de l'année 1980 : « Personne ne travaille aussi parfaitement et avec tant de maestria le cuivre que R. Šulskis. (...) Dans certaines de ses compositions ce n'est plus un haut-relief mais une sculpture arrondie qui est obtenue grâce à cette technique. En tant que son ancien professeur, j'ai été étonné par l'envergure créative du sculpteur, une vision originale de la vie, le choix de symboles incroyables et de thèmes mythologiques et allégoriques, une disposition à l'humour voire même à l'ironie ». L'artiste a trouvé avec le professeur J. Kėdainis un lien commun, ils avaient des affinités électives, et le professeur comparait même son élève à Michel-Ange.

A la fin des années 70, R.A. Šulskis a reforgé les premières frappes de cuivre qui se caractérisaient par des surfaces un peu mastiquées et une non-finition modifiant leur facture : « Le rêve » I-II (1975), « Les mains » (1976), « Le temps » (1976), etc. ; ces travaux acquéraient déjà une toute autre qualité artistique et ils avaient une plus grande éloquence. Les premiers reliefs en cuivre étaient de faible facture. De nouveaux moyens d'expression artistique ont alors été découverts : rudesse, grumelure, multitude de détails de facture, acuité, dureté des formes, rusticité.

Le sculpteur a aspiré à une perfection plus importante de l'expression plastique, à la suggestivité et à une profondeur fondamentale. L'œuvre de R. A. Šulskis a pris une nouvelle voie avec le projet de frise « Faune » du musée zoologique T. Ivanauskas (1978-1983). Le sculpteur a découvert une nouvelle esthétique qui est devenue sa nouvelle expression artistique et l'a mené à poursuivre ses recherches.

3. La période de maturité. La fin des années 70 et le début des années 80.

A cette époque, on trouve dans l'œuvre de R. A. Šulskis un moment de politisation, un caractère « engagé » (« Les Rêveurs » I-III (1982)), des connections avec l'art primitif, une utilisation des sujets religieux et mythologiques (« Adam et Ève » (1987), « Les deux rois » (1988), « Le professeur et ses disciples » (1988), etc.), une expression expressionniste, une déformation, un traitement primitif de la forme harmonisé avec des proportions académiques parfaites.

L'artiste s'est tourné vers un traitement satyrique de l'image : on ressent la finesse de l'esprit, parfois aussi une rudesse, l'ironie, le grotesque. Les idées sollicitées sont exprimées avec une plastique dynamique et fougueuse, une déformation expressionniste assez claire, un lien entrelacé de formes et de factures, une transformation, une mutation en quelque chose d'autre : « les liens réels deviennent conditionnels et de nouvelles représentations pleines de tension sont créées, étranges et intentionnellement choquantes » [6]. Par des images symboliques il s'efforce de parler aux gens, exprimer sa vérité, ses pensées, une sagesse de vie s'appuyant sur des catégories fondamentales et des concepts de la morale, et il attend aussi une participation active et créative du spectateur.

 

 

Durant cette période, R. A. Šulskis a créé un cycle qui couronne toute son œuvre : le « Royaume de cuivre » I-IX (1981-1988). Dans le cycle, l'auteur incarne de manière suggestive et émotionnelle « son royaume de la douleur et du désespoir, (...) la rancœur douloureuse de l'oppression [7] », il exprime sa vérité, son point de vue et sa position, il jette un défi aux forces obscures en prouvant que le plus important est la liberté intérieure qui est possible dans n'importe quel contexte.

Après avoir exigé de l'artiste beaucoup d'énergie, de résistance et des années de travail épuisant, le cycle est l'œuvre la plus importante et la plus mature de R. A. Šulskis. D'impressionnants hauts-reliefs gigantesques, desquels semble jaillir une force menaçante incontrôlable, racontent l'histoire/saga de la prospérité et du péché, des souffrances, de la violence, des persécutions, des supplices et autres tourments terrestres et leur combat.

L'œuvre incarne une allégorie des cercles de « L'Enfer » de Dante [8]. On entend les échos des images de l'enfer et du purgatoire : chaos, motifs du feu portant la poix à ébullition, attributs des saints, non temporalité, cyclicité/répétition, prémonition d'un combat éternel. Les corps des personnages sont entravés par de grosses cordes oppressantes et ininterrompues : ce symbole passe d'une partie du cycle à l'autre comme s'il disait qu'une totale libération est impossible, il s'agit d'un lien éternel, un éternel combat. Par des images dramatiques est condamné le côté sombre de la nature humaine qui s'exprime éternellement par les idées de perdition et de salut, de sens de la souffrance, de temporalité et d'éternité.

Il s'agit d'une interprétation de l'éternel thème de la lutte du mal et du bien, un développement du thème de la décadence et du péché qui rappelle la poésie classique de A. Dante. Les divers bougres, les créatures du monde fantastique et les monstres vivent une vie et luttent plongés dans une atmosphère d'assonance entre le monde matériel et l'au-delà. Des pôles conflictuels sont opposés : toute l'œuvre de R. A. Šulskis se caractérise par une composition binaire.

Dans chaque partie du cycle est exprimée la relation du bourreau et de la victime : la torture et le martyre, la violence et la douleur, la persécution et le désespoir. Les principes terrestre et divin se rejoignent et luttent l'un contre l'autre. Il s'agit de l'éternel combat entre le bien et le mal, la liberté et la contrainte, le spirituel et le matériel, l'élevé et le terrestre. On ressent des connections avec la réalité de l'époque soviétique : le problème de l'oppression de la liberté, la protestation silencieuse, la négation d'une « époque du mensonge ».

Les échelles gigantesques des reliefs et la forte suggestion émotive des compositions abasourdissent le spectateur et étonnent par l'incroyable envergure de l'artiste. Les personnages sont massifs, tenant à peine sur des feuilles de cuivre de deux mètres. Cela se caractérise par une forte impétuosité de la plastique, une énergie, une jonction tenace des formes.

La création du cycle a exigé du sculpteur de nombreuses années de travail fatiguant et beaucoup de force, elle lui a pris la santé. L'artiste a réussi à atteindre une suggestivité importante et une influence des représentations, il a exprimé par cette œuvre son point de vue et une protestation contre un système détruisant la liberté : « (...) cette particularité de la mentalité de la résistance et une signification cohérente et talentueuse des représentations sont exceptionnelles non seulement dans le contexte de la sculpture locale mais aussi européenne » [9].

 




4. La période tardive. Fin des années 80 - première moitié des années 90.

R. A. Šulskis souffrait d'une grave maladie des reins, et cela a eu une influence sur son œuvre : il n'avait plus la force de marteler de grandes feuilles de cuivre. L'artiste a fait de la petite plastique, il a commencé à faire du graphisme : il a créé des monotypes. Il a aussi changé en tant que personne et en tant qu'artiste : les thèmes sont restés similaires (existence, vérité, éternité, lutte, conflictualité, etc.), mais il a entrepris de s'exprimer par d'autres méthodes, d'autres moyens d'expression artistique. Il travaillait fiévreusement et il se pressait énormément, car il avait encore beaucoup à dire... Les mêmes symboles stylisés et une manière de penser unifiée unissent les travaux de cette époque.

Dans les travaux de la dernière étape de R. A. Šulskis se répète le même motif qui s'avançait dans le monde des représentations et des fantaisies créatives comme s'il le persécutait sans le laisser le distancer. Il s'agit de l'image de l'oiseau, symbole de liberté, qui se retrouvait assez souvent sur les reliefs en cuivre des années 80 (« L'oiseau de guerre » (1976), « L'oiseau » (1986), « Royaume de cuivre » (1985), etc.).

L'artiste aimait particulièrement cette image dans les dernières années de sa vie : tous les travaux de cette époque sont associés à la métaphore d'un homme-oiseau stylisé. Celle-ci alterne par les variantes les plus incroyables en introduisant des thèmes bibliques et une symbolique chrétienne en incorporant des représentations archétypiques et une vision du monde païenne : « Le sacrifice de l'oiseau » (1993), « L'oiseau et la méduse » (1993), « L'oiseau et l'homme avec une queue » (1993), « Le fils prodigue » (1994), etc.

Pourquoi l'image de l'oiseau est-elle notamment devenue la plus importante pour le sculpteur ? Ce serait assez difficile à expliquer de manière définitive, car l'homme choisit inconsciemment les symboles, échos de son âme,  et peut-être viennent-ils eux-mêmes en lui en réaction aux vibrations de l'âme humaine. Depuis longtemps, l'oiseau est considéré en raison de ses ailes et du vol comme un intermédiaire entre terre et ciel, une incarnation des choses immatérielles, en tout premier lieu de l'âme.

Tous ces motifs (l'homme assoiffé d'immortalité, l'oiseau, l'arbre, le bateau, les diverses créatures mythiques comme la méduse, le serpent, etc.) s'entrelacent dans les sculptures de R. A. Šulskis les uns avec les autres dans un alliage unissant les visions du monde païenne et chrétienne ainsi que les représentations mythologiques. Les oiseaux de R. A. Šulskis sont des créatures humanisées, un peu surélevées par leur esprit libre de ces silhouettes humaines, comme si elles connaissaient les secrets de l'existence et donnaient du sens, dans un recueillement silencieux, à une existence temporaire. Elles parlent de l'unité de l'homme et de la nature, une éternelle relation archaïque. C'est comme si l'oiseau incarnait les bonnes forces de l'univers. Son existence silencieuse marquée est au-dessus de la lugubre existence humaine et terrestre, il la dépasse par sa liberté rêvée qui n'est pas celle du vol, mais la liberté intérieure de l'âme, et l'artiste y a aspiré toute sa vie.

Ces sculptures anthropomorphiques sont des compositions statiques, frontales, laconique et avec des formes schématisées et assez grossières. Il y a une silhouette importante, une facture rugueuse, une certaine géométrie proche de l'art primitif. Les figures rappellent les ornements zoomorphiques des anciennes civilisations et forment certaines formes/marques archaïques et symboliques : cercle, croix, losange ou autres.

A cette époque, R. A. Šulskis fait pas mal de travaux graphiques (des monotypes, dont le style graphique est très proche des sculptures anthropomorphiques oiseau/homme) et des dessins très intéressants.

Les mêmes thèmes, motifs et symboles sont employés et déclinés : « L''homme et l'oiseau » (1991), « L'homme et l'animal » I-IV (1992), « L'oiseau et l'arbre » I-IV (1993), etc. Cela se caractérise par un langage laconique très original, une tendance au minimalisme, la plus grande attention est portée à l'expressivité décidée de la ligne. La composition est le plus souvent binaire, grâce à elle s'exprime une relation entre deux pôles, une lutte ou une opposition. En laissant beaucoup d'espace, la ligne est libre, précise. Parlant avec des thèmes de la mythologie, des légendes et des contes, les mêmes éléments de composition se répètent en permanence : des cercles, des lignes qui rappellent des toiles d'araignée ou les rayons du soleil et sont associées au changement permanent de la nature et du monde entier, à la cyclicité. L'artiste s'exprime par des thèmes de l'histoire culturelle, la morale et la religion, et c'est comme si l'oiseau incarnait une force bonne qui lutte contre l'obscurité innée et l'étroitesse de l'homme. Chaque composition exprime une thèse de l'auteur ou son point de vue sur certains phénomènes, une pensée profonde est exprimée par une image laconique. La signification symbolique se révèle par l'utilisation de représentations universelles : l'oiseau, le poisson, l'arbre, le bateau, le livre, l'œuf, la roue ; des éléments des contes (« Le roi et la reine » (1989), « Le roi et l'oiseau » (1989), etc.) et des éléments bibliques (« La dernière soirée » (1988), « Caen et Abel » (1989), etc.) sont insérés. L'artiste aimait à la folie son travail, il pouvait renoncer à tout et tout oublier pour son œuvre. Il devait ressentir une vocation entière pour l'art, car, sans une telle perception, cet épuisement et ce manque de ménagement irréfléchis de soi-même auraient été incompréhensibles. R. A. Šulskis travaillait sans tenir compte des difficultés, bien qu'il savait que c'était comme si ses travaux n'étaient utiles à personne. L'œuvre de ce talentueux artiste a en réalité peu intéressé pendant longtemps, comme l'écrit R. Kogelytė : « (...) un immense monde de spectacles qui n'a longtemps été nécessaire à personne : ni à ceux qui passaient commande, ni aux collectionneurs, ni aux collègues qui passaient à côté des travaux de l'artiste dans les expositions » [10]. Tous restaient simplement silencieux, et on peut aujourd'hui seulement se douter de la raison à cela. Il serait très étrange que la raison d'un tel silence ait été une négligence ou un manque de clairvoyance des critiques d'art : il est probablement impossible de ne pas voir et ne pas sentir la force artistique et l'éloquence professionnelle qui se dégagent des œuvres de R. A. Šulskis. La peur de parler, conditionnée par les réalités de l'époque soviétique, serait plus compréhensible : l'artiste n'a jamais flatté les autorités de l'époque, il n'a pas fait de « Lénine » ou autres « idoles ». Son œuvre était de nature résistante : une protestation contre ce qui entrave, oppresse et emprisonne la liberté. L'artiste n'a jamais renoncé à son point de vue : il passait outre la pression idéologique, il ne s'est pas adapté au système, et une telle position a déterminé en partie la destinée de cet artiste et de ses travaux. Des convictions encombrantes pour le système ont débouché sur une ignorance pendant longtemps de l'œuvre de l'artiste. Cela s'est exprimé sous différentes formes : l'absence de commandes, une rare possibilité de participer à des expositions, l'absence d'articles présentant son œuvre. Longtemps, R. A. Šulskis n'a pas eu d'atelier normal : il travaillait dans un ancien atelier de fabrication des monnaies à Šančiai, un local non chauffé : « Après avoir travaillé dans de difficiles conditions presque impossibles et perdu la santé à cause de cela, le sculpteur tombe gravement malade. Passant outre une maladie en constante progression, il fait des sculptures de petites formes, du graphisme et des dessins. En 1995, épuisé par des dialyses fatigantes, il les ignore et meurt ». Gravement malade, il s'est complètement donné à l'art. L'artiste travaillait obstinément, il créait le monde de ses visions. Son but et toute sa vie ont été le travail, la création. La considération n'est venue qu'à la fin de sa vie au moment où il ne lui restait déjà plus beaucoup de force : on a alors commencé à écrire des articles présentant l'œuvre de R. A. Šulskis, un film documentaire a même été fait (1990), l'artiste est inséré dans les albums d'art. En 1991, l'artiste a été présenté pour le Prix national ; mais, bien que tous ceux qui avaient vu en vrai les travaux du sculpteur aient reconnu que R. A. Šulskis le méritait, l'artiste n'a pas reçu le prix. Son œuvre n'avait de l'intérêt que pour quelques personnes.

L'œuvre de R. A. Šulskis est trop indépendante et originale, exceptionnelle à de nombreux égards, c'est pourquoi elle n'a pas eu d'adeptes ou d'admirateurs. Son art est très personnalisé avec un peu d'esthétique grotesque qui n'est pas acceptable ni compréhensible à tous.

  1. Zingeris M. Skulptorius, kuriam mirtis pakirto sparnus//Laikinoji sostinė. 1996, rugsėjo 18.P.4.
  2. Vyžintas A. Prakalbinęs varį// Santara. 1992.Nr. 8, p. 78.
  3. Andriuškevičius A. Lietuvių dailė: 1975 – 1995. Vilnius: Vilniaus dailės akademijos leidykla, 1997.
  4. Valaika P. Rimantas Šulskis// Nemunas. 1980.Nr. 1, p. 4.
  5. Valaika P. Rimantas Šulskis//Nemunas. 1980. Nr. 1, p 4.
  6. Grybauskaitė G. Šešeto skulptrių paroda//Kultūros barai. 1979. Nr 9, p. 79.
  7. Kuizinas S. Tekstai iš vario//Kultūros barai. 1990. Nr. 5, p. 38.
  8. Jasevičiūtė V. Rimantas Antanas Šulskis//Kauno menininkai/red. kolegija: K. Adomaitis ir kt. Kaunas; Kauno meno fondas, 1996, p. 106.
  9. Kuizinas S. Tekstai iš vario// Kultūros barai. 1990.Nr. 5, p.38.
  10. Kogelytė R. Šulskio skulptūros//Krantai. 1990. Nr. 4, p. 70.